lecture | PATRIMONIUM |
Conservation et archéologie des monuments en Suisse 1950 - 2000 (extraits) | |
texte de Dave Lüthi, historien |
page hébergée sur www.mikulas.ch
«
Le cas de l'abbaye de la Fille-Dieu à Romont
(1989-1996) fait figure d'exception en tant que reconstruction presque
intégrale d'un monument. Basée sur une analyse archéologique consistante,
elle se rapproche pour Alfred A. Schmid d'une anastylose.149 Fondée en 1286, l'abbaye a connu différentes phases de transformations, dont l'une, au XIXe siècle, avait grandement perturbé l'église médiévale150 (fig. 30). Une grande partie de la nef était subdivisée par des niveaux; seuls demeuraient le chœur et deux travées du vaisseau, très remaniés. Sous l'impulsion vigoureuse de la Mère Hortense Berthet, docteur en physique atomique, et grâce au soutien de l'Association des Amis de la Fille-Dieu, le projet d'une restitution de l'église est admis puis élaboré dès 1990 par les architectes Pierre Margot, Aloys Page et Tomas Mikulas, sous la houlette d'experts cantonaux et fédéraux 151. Les examens archéologiques particulièrement poussés donnent de nombreuses informations sur la forme ancienne de l'édifice et sur ses dispositions 152 (fig. 31). La silhouette de la voûte de bois médiévale, remplacée au XVIIe siècle déjà, est ainsi révélée; sous les colonnes de plâtre, on retrouve deux poteaux du XIVe siècle qui soutenaient cette couverture. Plusieurs fenêtres anciennes sont débouchées, délivrant des fragments de polychromies des XlVe, XVIIe et XVllle siècles. C'est grâce aux éléments livrés par l'archéologie que le projet prend forme; il répond aux besoins de la vie religieuse et communautaire du couvent et s'adapte aux instructions du concile de Vatican Il (particulièrement pour le rapprochement des moniales et des fidèles). Les adjonctions post-médiévales (notamment du XIXe siècle) sont en grande partie supprimées, sauf quelques éléments de mobilier (comme un précieux autel de la fin du XVlle siècle attribuable à Gottfried Bräutigam). Les principaux éléments reconstruits seront le plafond voûté en bois, une partie des poteaux le soutenant, la polychromie de la nef (avec conservation des fragments anciens) et, à l'extérieur, la façade occidentale, la toiture et le clocheton de chœur: Ce faisant, on vise implicitement un retour à l'état médiéval de l'église. Pour l'aspect des murs notamment, le décor du XlVe siècle, relativement bien connu, paraît mériter une remise en valeur, au détriment des peintures baroques jugées plus banales.153 Ce choix permet aussi une continuité entre la nef et le chœur, restauré en 1969-1970 par Pierre Margot (diverses restitutions y avaient été pratiquées: fenêtres sud du chœur, niche-tabernacle, etc.), et où des décors peints des XIVe et XVIIe siècle avaient été découverts par Théo-Antoine Hermanès.154 Alfred A. Schmid recommandera en revanche de ne pas pratiquer le même type de restauration donnant à voir de petits fragments anciens nageant (c'est son mot) sur la paroi.155 L'intervention de la Commission fédérale se concentre surtout sur l'aspect du nouveau plafond. Schmid insiste pour que l'on s'inspire d'exemples médiévaux régionaux. Les architectes tiennent quant à eux à restituer «globalement [la] géométrie du plafond médiéval [et] l'ambiance ancienne, tout en traitant le détail d'une manière contemporaine» 156; ainsi le projet initial «traditionnel» de plafond à couvre-joints saillants est délaissé au profit d'un autre, à joints creux, que Schmid tolère (fig. 32). Le plafond n'est pas enduit, mais laissé au naturel, de façon à ce qu'il vieillisse naturellement. En revanche, la restitution du clocheton au-dessus du chœur sera résolue par analogie aux exemples régionaux. La façade occidentale, dont les dispositions anciennes étaient devenues Illisibles, prend une forme neutre et sobre qui incorpore des éléments anciens (la rose est ainsi restituée sur la base de vestiges dégagés durant les fouilles), (fig. 33). Quant à la tribune intérieure occidentale, vraisemblablement inexistante à l'origine, elle est traitée de façon contemporaine mais dans des matériaux traditionnels (bois, en écho au nouveau plafond). Alors que reconstruction et reconstitution sont stigmatisées depuis plusieurs décennies par les chartes et les doctrines - en grande partie en réaction aux méthodes viollet-le-duciennes dans le monde francophone -, l'exemple de la Fille-Dieu démontre comment les apports récents de la science, notamment dans les domaines de l'archéologie médiévale et de la restauration d'art, peuvent appuyer le concept de restitution; dans ce cas précis, ce travail se fait en partie contre l'avis des archéologues, qui redoutent une surinterprétation de leurs données. L'ambiguïté du projet réside cependant surtout en l'apport contemporain, si discret qu'il est difficilement différenciable des parties anciennes pour le novice. La Fille-Dieu témoigne de la volonté de préserver la forme et la fonction de l’édifice et d'éviter d'en faire un «objet» 157 que l'architecte utilise pour réaliser son intervention, ainsi que le souligne Alfred A. Schmid.158 Le président de la Commission fédérale oppose la subjectivité d'une telle démarche à celle, jugée plus objective, de la restitution ou de l'anastylose. Pourtant, à la Fille-Dieu, le goût de l'époque et des intervenants pour l'architecture médiévale entre bien sûr en ligne de compte dans les options retenues: ainsi, la remise en place des retables baroques ne suscite-elle guère d'enthousiasme. La volonté marquée de la Commission fédérale de favoriser avant tout la cohérence de l'aspect d'ensemble dirige en grande partie les choix: la lecture archéologique des parois sera soumise à la pose des enduits qui ne devront pas paraître trop bruts ou «sauvages» et qui devront s'intégrer à la vision d'ensemble. Paradoxalement, alors que la mise en place de nouveaux vitraux se fait dans une démarche néo-cistercienne à l'abbatiale sécularisée de Bonmont (certes, le leitmotiv de sa restauration consiste à retrouver la pureté de l'architecture des origines), ceux de la Fille-Dieu, œuvre de Brian Clarke, seront «résolument modernes», selon l'expression consacrée. lis laisseront sceptiques une partie des experts fédéraux et cantonaux. La restitution de l'église de la Fille-Dieu se voit donc couronnée par une intervention ne tenant absolument pas compte des données historiques de l'édifice, mais répondant aux attentes spirituelles et esthétiques de la congrégation des moniales. » Dave Lüthi, historien 2010
texte scan original au format PDF
|
|
Divers : Pubblicato un volume su
mezzo secolo di conservazione dei monumenti in Svizzera |
|
page hébergée sur www.mikulas.ch |
« Patrimonium » - Un livre fait le point sur un demi-siècle de conservation des monuments historiques en Suisse La nouvelle a été corrigée ou complétée après la publication (09.11.2010) Berne, 09.11.2010 - Sous le titre «Patrimonium», l’Office fédéral de la culture publie un livre-somme sur cinquante ans de conservation des monuments historiques en Suisse (1950-2000). Source précieuse d’informations pour les spécialistes, c’est aussi le témoin parlant d’une époque charnière marquée par la prise d’importantes décisions de politique culturelle. La conservation des monuments historiques a connu un essor fulgurant dans la seconde moitié du 20e siècle ; la notion même s’en est élargie et modifiée et désigne maintenant une forme de protection de l’environnement, soucieuse de l’aspect historique et esthétique du monument et de ses alentours. Elle fait partie intégrante de la politique culturelle.
Une somme et un témoignage
Des exemples parlants
Le livre
Textes en allemand, français et/ou italien
|
|