L'abbé Bolle-Reddat, ami de Le Corbusier, est
aussi l'ami des jeunes.
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Il était une fois …
L'abbé et l'architecte
L'architecte visionnaire était fils de la Réforme. A cinquante kilomètres à vol d'oiseau de La Chaux-de-Fonds, sa ville natale, il a coulé, façonné dans le béton, un poème mystique dédié à la Vierge Marie. On le croyait athée, voire mécréant. Ronchamp prouve que Charles-Edouard Jeanneret etait ouvert à la transcendance. Depuis 1955 Notre-Dame-du-Haut attire pèlerins et visiteurs.
Sur cette colline règne un autre mystique :
l'abbé René Bolle-Reddat. L'érudit chapelain fut l'ami du grand bâtisseur. Il est l'auteur d'un livre au titre provoquant qui sort de presse ces jours-ci : « Un
Évangile selon Le Corbusier ». Coopération l'a rencontré.
Difficile de trouver les mots pour décrire la
chapelle de Ronchamp : blanche, irréelle, lyrique, pétrie d'émotion. L'extérieur donne une impression d'envol par son toit en forme d'aile, de nef, de voile. Le soleil a donné la direction. Il est le partenaire de l'édifice. Tout a été conçu pour les jeux de lumière, pour chaque heure du jour, pour chaque saison. Les tours sont là pour capter cette lumière et la restituer au creux de ce rocher mystique. L'intérieur, véritable « vase de douceur » est un poème d'acoustique visuelle «où les formes font du bruit et du silence, les unes parlent, les autres écoutent... »
« Un Jour il y eut un homme doué, génial, habité par la dixième muse. Il était poète, musicien, mathématicien, peintre, sculpteur ébloui comme un homme qui fréquente les fées. L'Esprit est allé le quérir au secret de son Atelier »
Ainsi s'exprime l'abbé René Bolle-Reddat, animateur et maître des lieux depuis trente ans.
>Vous avez bien connu Le Corbusier?
- Bien sûr. Il avait plus de soixante ans. Pourtant il a eu le courage de se lancer dans cette aventure.
> Ronchamp, comment cela a-t-il commencé ?
- Des hommes de foi ont voulu restaurer ce lieu de pèlerinage détruit lors de durs combats en 1944. Amateurs d'art moderne, ils voulaient que la nouvelle chapelle soit le carrefour du futur. Ils ont donc fait appel à Le Corbusier.
> Mais il était protestant .
- Au début il les a envoyé promener, « ces curés ». Mais quand il est monté sur cette colline, en Juin 1950, il a « accepté de loger le Bon Dieu, puisqu'il s'est fait homme lui aussi… ».
> Comment expliquez-vous l'attrait mondial de cette chapelle ?
- Parce qu'elle est à la fois simple, forte, rayonnante, et surtout symbole de liberté. Voyez-vous, Notre-Dame-du-Haut n'enseigne pas. Les cathédrales étaient faites pour enseigner. Ici on découvre ce qu'on attend, ce qu'on cherche. Ici, certains sont bouleversés. D'autres passent sans être atteints.
> Comment a été réalisée cette prouesse technique ?
- Ils ont travaillé comme des forcenés. Avec peu d'argent, de matériaux, sans chemin carrossable, ni électricité. Les maçons ont tout fait sans grue. Cette épopée a duré cinq ans.
Ce qu'il faut arracher, mot à mot, à l'abbé, c'est que lui-même a dû trouver les fonds, sou par sou, refouler les marchands du Temple, les bistrots de l'endroit pour faire de cette colline un haut lieu mystique. Son regard se volte.
- Oui, j'en ai bavé. Mais voyez cette splendeur. Ils viennent de tous les pays du monde. Des jeunes surtout. Ils me questionnent.
Incroyable ce qu'ils vibrent à la lumière de cette chapelle
> Parce qu'elle est inspirée ?
- Oui. Et Le Corbusier ne s'en cachait pas. Relisez son allocution lors de la dédicace, le 25 juin 1955 : « En bâtissant cette chapelle, j'ai voulu créer un lieu de silence, de prière, de paix, de joie intérieure. Le sentiment du sacré anima notre effort... une oeuvre difficile, minutieuse et forte dans les moyens mis en ouvre, mais sensible, mais animée d'une mathématique totale, créatrice de l'espace indicible. La Croix, la vraie Croix du supplice est installée dans cette arche; le drame chrétien a désormais pris possession de ce lieu.
- Et pourtant, la veille de l'inauguration, il télégraphiait à sa mère: « Surtout ne venez pas, ce sera une catastrophe… » Il avait le trac, comme tous ceux dont la vie profonde est livrée au public.
Comme Picasso qui ne montrait qu'à de rares intimes ses « crucifixions » cachées dans une armoire précieuse qu'il nommait « Votre Tabernacle ».
Modeste et érudit, le chapelain de Ronchamp. Son livre nous fait découvrir l'extraordinaire itinéraire du jeune Chaux-de-fonnier visionnaire en perpétuelle recherche à travers l'Europe alors à son apogée. Et l'on se prend d'amitié pour l'homme du futur à la fois secret et truculent, bon époux, veuf inconsolable, qui mourut pauvre, largement incompris parce que sa stature dépassait les hommes de son temps.
Propos recueilles par Renée Hermenjat
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