MAGAZINE Pèlerinage
à Lourdes (IV)
«Je
suis prête à partir»
Sœur
Thérèse-Marie est atteinte d’un cancer en phase terminale. Moniale au
monastère cistercien de la Fille-Dieu, à Romont, elle a reçu une
autorisation spéciale de son ordre pour participer au pèlerinage de
Lourdes. La Gruyère a recueilli son témoignage.
Sœur Thérèse-Marie: «Pour moi, ce pèlerinage à Lourdes aura été une
bonne préparation à ma mort»
Originaire de
Vernamiège, dans le val d’Hérens, en Valais, Sœur Thérèse-Marie est
moniale au monastère de la Fille-Dieu, à Romont.
Responsable du chant durant vingt-sept ans, elle n’a depuis quitté la
Glâne qu’à une seule occasion. Envoyée dans une abbaye au sud de la
France, elle y a construit un office avant de revenir à la Fille-Dieu.
Cellérière (économe) âgée de 67 ans, elle a obtenu de son ordre une
autorisation spé-ciale pour se rendre en pèle-rinage à Lourdes.
Devant l’Accueil Notre- Dame, Sœur Thérèse-Marie s’est confiée durant
une heure. Elle a raconté sa vision du pèlerinage, sa vie monasti-
que, mais aussi sa maladie et son approche de la mort.
Un témoignage bouleversant de sérénité et d’apaisement que La Gruyère
retranscrit ici dans son intégralité.
«Je suis entrée au monastère de la Fille-Dieu, à Romont, le 15 août
1959. Je vais fêter cette année mes quarante-cinq ans de présence au
monastère.
»A l’âge de 2 ans et demi, j’ai été atteinte d’une congestion
pulmonaire, qui, à l’époque n’était pas soignable. Mes parents ont
beaucoup prié pour moi, pour que je survive. Ils ont dit: “Si tu
guéris, on ira en pèlerinage à Lourdes”. Finalement, ce n’est qu’à
l’âge de 10 ans que mon père m’a emmenée ici. Je garde un très bon
souvenir des processions et de la grotte, mais je me rappelle que je
ne comprenais pas bien la vraie portée du pèlerinage.
»Il y a quatre mois, le docteur Rime a décelé chez moi un cancer du
pancréas. Avec son épouse, il a fait les démarches auprès de l’Ordre
cistercien pour que je puisse venir à ce pèlerinage. Nous avons obtenu
un aval de fraternité de Mgr Bernard Genoud. Ce voyage fut l’occasion
de mon baptême de l’air.
»Arrivée à Lourdes, j’ai connu beaucoup de bonnes choses. J’ai été
fascinée par toute cette entraide, la gentillesse des hospitalières et
des brancardiers, leur sourire.
»J’ai toujours voulu suivre la volonté de Dieu. S’il veut que je
parte, je partirai avec beaucoup de joie et de paix. A la fin, je
verrai son visage, celui que j’ai cherché toute ma vie.
»Pour moi, ces cérémonies sont comme l’antichambre du Ciel. La messe
internationale m’a beaucoup touchée. Au Ciel, il y aura aussi des gens
de toutes les nations, de toutes les couleurs. Je me suis alors
réjouie de partir bientôt.
»Durant l’onction des malades, j’ai également ressenti beaucoup de
choses. Moi qui voulais passer inaperçue, je me suis retrouvée à
parler sur la scène. J’ai alors vu toute la tendresse de Mgr Rémy
Berchier. C’était une tendresse divine…
»Aujourd’hui, je vis dans la paix et la joie. La paix ne m’a jamais
quittée, même si j’ai eu des hauts et des bas avec elle. Elle n’est
jamais partie.
»Après ma scolarité, je me suis intéressée à la vie monastique
contemplative. J’ai vécu une vie de soignante durant une année à
Martigny, mais ce n’était pas pour moi. Sans rien dire à mes parents,
je suis allée faire un stage à la Fille-Dieu, car j’aimais beaucoup le
chant grégorien. Valaisanne, j’aurais dû me diriger vers le couvent de
Géronde ou de Collombey. Mais mon cœur était à la Fille-Dieu.
Finalement, mon père m’a dit: “Je te laisse aller.”
»Lors du passage à la grotte, j’ai eu honte de laisser couler mes
larmes. J’aurais voulu être forte. Mais je ne l’ai pas été. C’était un
vrai torrent de larmes. Non pas des larmes pour que je guérisse, mais
des larmes de joie.
»Pour moi, ce pèlerinage de Lourdes aura été une bonne préparation à
ma mort.
»J’ai longtemps craint de devoir souffrir, “d’être dans le cirage” si
je peux m’exprimer ainsi. J’ai encore le souvenir de l’époque où
j’étais à Martigny. Durant la nuit, vers 3 heures du matin, j’ai
entendu une dame crier de douleur. Ça m’a fait tellement mal.
Aujourd’hui, j’y repense souvent. Parfois, je me demande: “Comment
ferai-je pour tirer le dernier souffle?” Je crois finalement que ce
n’est pas le dernier qui est difficile, mais ceux d’avant.
»Dans cette vie, j’ai été faible. Grâce aux prières de mes sœurs, j’ai
eu la grâce de désirer le Ciel. Mais je ne suis pas meilleure qu’une
autre. Je dois tout au Seigneur.
»Ici, j’ai prié un chapelet par jour pour les malades. Un “gars” de 14
ans m’a soulevé le cœur. Il avait le regard perdu, sa salive coulait
le long de ses lèvres. Alors, j’ai prié pour lui.
»Avant de partir, toute la communauté de la Fille-Dieu est venue me
dire “au revoir”. Je leur ai demandé pardon. Il fallait que je le
fasse, car je sais de quel mal je suis atteinte.
»Je ne sais pas combien de temps mon exil sur cette Terre va durer. Je
ne veux pas le savoir et le docteur Rime sait qu’il ne doit pas me le
dire. Tout ce que je sais, c’est que le jour viendra.
»Cette semaine, Mgr Bernard Genoud m’a dit: “Ma Sœur, si vous partez
avant moi, descendez-moi l’échelle!” Pour moi, le Ciel n’est pas un
lieu, mais un état. J’aurais aimé lui dire “Votre devoir n’est pas
encore accompli…” Mais je n’ai pas osé.»
Retrouvez les
photographies du pèlerinage sur le site
www.lagruyere.ch/lourdes
«Retrouver la foi»
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Quelques
heures après ma rencontre avec Sœur Thérèse-Marie, le docteur
Francis Rime, responsable des médecins lors du pèlerinage,
s’approche de moi. «J’ai quelque chose à vous montrer à titre de
conclusion», dit-il mystérieusement. Sans un mot, je le suis. Il
passe devant la grotte et les piscines, puis bifurque en
direction du chemin en lacets qui monte derrière la basilique.
Là, à l'extérieur du virage, il m’abandonne devant la très belle
statue d’un aveugle agenouillé devant une croix.
Sur la plaque qui l’accompagne, une inscription: «Offert par une
dame italienne, ce monument veut dire: “Retrouver la Foi c’est
plus que retrouver la Vue.”»
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