« Le 1er février 1782, Jean-Daniel Sonnay, le futur fondateur de
l’Institut de La Dausaz, naissait à La Combaz, vaste domaine de la
commune d’Ecoteaux, situé an bord de la Broye. Son père, « honnête
agriculteur », passait pour avoir des vues élevées en politique comme en
morale. Aussi fut-il digne
de montrer à ses fils les avantages d’une économie sévère, de l’amour du
travail et de la vertu de tempérance. Jean-Daniel se trouvait donc à
bonne école. Néanmoins, victime d’une époque où les bouleversements
sociaux absorbaient les esprits jusque dans les moindres hameaux et y
arrêtaient l’instruction déjà si négligée, l’enfant dut apprendre à
écrire seul.
Patiemment, au moyen de morceaux de terre glaise séchés au soleil, il
s’escrima à retracer sur des planches les caractères de l’alphabet, puis
des pages entières du catéchisme de Berne ou de la Bible. Sa grand-mère
au cours- de conversations familières, contribua à développer son
intelligence et lui inculqua des principes de piété. L’excellente femme
faisait preuve d’une activité et d’une charité infatigables. Lorsqu’on
l’engageait à ménager ses forces, elle se contentait de répondre : « Mé
réposeri quand sari moirta ».
Jean-Daniel était animé d’un tel désir de savoir que ses parents le
placèrent en pension à Palézieux, chez M. Dénéréaz, l’un des meilleurs
régents du pays. Il s’établit ensuite à Lausanne où il donna des leçons
aux élèves de l’Ecole de charité, tout en servant de copiste puis -de
dessinateur à l’architecte Perregaux. Bref, le séjour dans la capitale
lui permit de se « civiliser » et d’augmenter « Le modeste trésor de ses
connaissances »
Après quelques années d’enseignement dans le canton de Neuchâtel, il
obtint, en 1806, à l’âge de 24 ans, le poste de troisième régent du
collège de Nyon; le jeune homme l’avait emporté haut la main sur
dix—neuf candidats, parmi lesquels figuraient même des pasteurs! Le
premier chez nous, Sonnay travailla à introduire dans les classes la
méthode d’enseignement mutuel. Les Nyonnais lui durent bientôt la
création et la réussite d’une école de musique-. Chantre du temple
paroissial, il imposa le chant en mesure, inusité auparavant.
Sonnay possédait à un rare degré le don de captiver ses élèves et de
combiner leurs exercices de manière à les tenir attentifs sans les
lasser jamais. Tout, paraît-il, lui devenait moyen d’éducation. Sa vie
n’était que dévouement aux enfants pauvres et à l’instruction primaire.
Au bout de vingt-quatre années d’un labeur parfois excessif, Sonnay
résolut de quitter Nyon et de se retirer dans la campagne de La Dausaz,
près des Tavernes.
Il avait acquis cette propriété de la famille de Joffrey, en 1815, avec
deux de ses frères. Impossible, naturellement, d’y faire figure de
retraité, de bourgeois désœuvré!
Que diable ! La cinquantaine venue, on n’est tout de même pas un
vieillard! Il demeura pédagogue, il devint agriculteur. Sonnay ne tarda
guère à ouvrir une école à La Dausaz, où furent admis les externes et
des internes. Les externes étaient les fils de ses frères et de ses
voisins. Les internes appartenaient à la classe pauvre comme à la classe
aisée. Une société formée à Lausanne pour secourir l’enfance
malheureuse, pourvoyait à la pension des indigents. L’institut de La
Dausaz était «un établissement d’enseignement rural aussi bien que
d’enseignement domestique » . Les élèves bénéficiaient au surplus d’une
formation primaire et secondaire. Fidèle à sa méthode, le directeur
avait mis sur pied un programme varié à souhait. Les études forcées, le
bourrage de crâne et les devoirs éreintants n’existaient pas à La
Dausaz.
Dans cet asile de paix, le cœur et l’esprit se développaient tout à la
fois.
Ce fut le 6 octobre 1842, à l’âge de soixante ans, que Jean-Daniel
Sonnay acheva son pèlerinage terrestre. Jusqu’à la fin, on le vit prêter
à chacun le service journalier de sa plume et de ses conseils. Même ceux
qui l’avaient accueilli dans la contrée avec quelque prévention et
l’avaient redouté comme méthodiste convaincu, respectaient et aimaient
l’homme de bien dont les œuvres témoignaient de la charité. Son fils
Adolphe, ancien élève de l’école d’agriculture Fellenberg à Hofwyl, lui
succéda à la tête de l’institut de La Dausaz. Maître de valeur, le
nouveau directeur s’avéra malheureusement
administrateur malhabile. L’établissement périclita; en 1850 Adolphe
Sonnay dut le fermer et vendre sa part du domaine...
Nature originale, caractère bien trempé, Jean-Daniel Sonnay, le régent
Sonnay, appartient à l’espèce des novateurs dont le nom même demeure
ignoré des jeunes générations. Aussi convenait-il de rappeler ici le
souvenir de ce pionnier vaudois de l’enseignement agricole et de la
méthode d’enseignement mutuel.
J.-P.P.
|