Pain, miel,
liqueurs, tisanes, élixirs, bougies, livres… On trouve de tout – ou
presque – au magasin monastique de l’abbaye d’Hauterive, à Posieux. Un
passage quasi incontournable pour le visiteur. Les moines
chercheraient-ils désormais à nourrir l’estomac aussi bien que l’âme,
toutes proportions gardées? La question se pose, à la vue de la
prolifération des produits que proposent de plus en plus de couvents.
Qui dans une vitrine, qui dans une chambre aménagée ou une petite
échoppe.
«Il faut bien vivre», remarque Sœur Véronique, carmélite au Pâquier.
Et comme l’argent ne tombe ni du ciel, ni des poches de l’évêque,
autarcie oblige… «Pour subvenir à nos besoins, nous voulons
travailler, pas vivre aux crochets de la société!» Raison pour
laquelle la communauté s’est récemment lancée dans la fabrication de
biscuits «merveilleusement bons». Aux oubliettes, la broderie, car «ça
n’intéresse plus grand monde». Maintenant, entre six et huit moniales
confectionnent sur place pains d’anis, délices au citron et autres
douceurs. Elles préparent actuellement «quelques centaines de kilos»
pour le prochain Salon suisse des goûts et terroirs, en novembre, à
Bulle.
Stratégie pastorale?
Mais si la pâtisserie et la vente de bougies ou de personnages de
crèche en jute constituent une source de revenus non négligeable pour
les carmélites (environ un dixième des rentrées financières), cela ne
suffit pas. «Quelques moniales touchent une rente AVS, indique Sœur
Véronique. Nous louons également cinq chambres pour les personnes qui
souhaitent venir en retraite.» Sans oublier les dons, voire les
héritages, qui terminent invariablement dans la caisse commune.
Les temps sont durs, et il faut impérativement trouver de nouveaux
revenus. Le discours et ses conséquences sont les mêmes partout.
Ainsi, les sœurs cisterciennes de la Fille-Dieu, à Romont, viennent de
lancer une moutarde à l’ancienne. «Nous n’en sommes qu’aux
balbutiements, relativise une moniale. Notre gagne-pain principal
reste la confection d’hosties. Mais si ça marche, la moutarde pourrait
devenir un petit apport complémentaire.» Également actives sur le
«marché» des hosties, les capucines de Montorge, à Fribourg, écoulent
d’autre part une liqueur digestive, quelques petits objets de piété,
des brochures… «Mais tout ça reste anecdotique», assure la supérieure,
Sœur Marie-Vérène.
En outre, certains monastères, à l’instar de celui des dominicaines, à
Estavayer-le-Lac, vendent aussi des produits qui ne sont pas fabriqués
sur place. Sans se muer en épicerie pour autant: «Tous les articles
proviennent de couvents», explique Sœur Marie-Nadine. D’autres, par
contre, n’ont pas développé leur offre. «Ça fait longtemps que nous
proposons des cartes, de la céramique, du tricot… énumère Sœur
Geneviève, du monastère de la Visitation, à Fribourg. C’est un petit
à-côté que les sœurs réalisent à temps perdu. Nous ne prévoyons pas de
faire autre chose… pour l’instant!»
Si, comme l’indique le Père Alois, procureur de la chartreuse de la
Valsainte, les quelques milliers de francs que rapporte le «magasin»
sont quasi insignifiants comparés aux charges à supporter, celui-ci
présente d’autres attraits. «C’est également un lieu d’accueil,
propice aux rencontres et à l’écoute, surtout en été», souligne Sœur
Anne-Stéfanie, de l’abbaye de la Maigrauge, en basse-ville de
Fribourg.
Un avis partagé par Francis Python, professeur d’histoire
contemporaine à l’Université de Fribourg. «Je pense qu’il y a une
stratégie pastorale, là-derrière, estime-t-il. C’est une manière
d’attirer un nouveau public. A Hauterive, par exemple, il y a un grand
afflux dans ce bazar… Beaucoup plus qu’à l’église!
C’est lié au phénomène de cette nouvelle culture religieuse, du
pèlerinage, par exemple à Saint-Jacques-de-Compostelle. Les couvents
ont compris ça, d’où cette stratégie de petit étal.»
«Un marché de niche»
Professeur
d’histoire médiévale à l’Université de Fribourg, Ernst Tremp est
notamment l’auteur de Mönche als Pioniere: Die Zisterzienser im
Mittelalter.
– Ernst Tremp, des magasins dans les couvents, est-ce nouveau?
Oui et non. Les monastères ont toujours eu une économie axée vers la
vente, vers l’échange. Mais dans notre société mobile, qui cherche un
peu le spécial, je crois qu’ils ont trouvé un marché de niche.
– Peut-on y voir, à l’instar du professeur Francis Python, une
stratégie pour attirer une «clientèle» qui ne viendrait pas forcément?
Tout à fait. Je crois que c’est légitime, mais c’est une intention qui
n’est peut-être pas avouée. Ça entre dans le même mouvement que
l’attrait pour les produits du terroir, ce genre de choses. C’est
clair que les gens sont intéressés par cette authenticité des
produits, leur aspect éthique, religieux. On va aller à Hauterive pour
acheter le pain qui a été produit sur place, par des moines.
– En faisant du commerce, ne se muent-ils pas en marchands du
temple, leur activité principale étant la prière?
Non, car c’est nettement séparé de l’Eglise. Normalement, un moine est
affecté à cette tâche et les autres ne sont pas impliqués dans ce
genre d’affaires. Je ne crois pas qu’il y ait un risque de confusion.
Ça ne touche pas leur vie religieuse.
Des noms célèbres
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Si le fromage
français Chaussée aux moines n’a rien à voir — excepté son nom —
avec un quelconque monastère, d’autres produits célèbres
trouvent bel et bien leur origine dans les couvents. Liste non
exhaustive de quelques mets que l’on doit aux monastères: des
fromages (roquefort, époisses), du vin (clairette de Die,
châteauneuf-du-pape, pommard), de la bière (Chimay, Orval), des
eaux-de-vie (chartreuse, kirsch, mirabelle)…
Pour protéger leurs produits et leur image, quelque 200
communautés européennes (France, Allemagne, Suisse, Belgique,
Luxem-bourg, Italie, Portugal) se sont même rassemblées dans une
association, Monastic. Un label de qualité qui garantit la
fabrication par les moines et les moniales des produits
affiliés.
Source:
www.oldcook.com
et
www.monastic-euro.org
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