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lecture Restauration de la chapelle St-Antoine à La Sarraz (VD)
conférence du 31 janvier 2002
par J.-C. Michel, architecte

Ville de la Sarraz
Chapelle St-Antoine (dite du Jaquemart)
CONSERVATION ET RESTAURATION

 

1. Éléments d'histoire, des origines au XIXe siècle

Fondation   le 16 juillet 1360

Au XIVe siècle, le bourg ne possédait pas encore d’église et les habitants devaient se rendre à Orny pour toute célébration liturgique. En été 1360, la peste déferla sur la région et l’épidémie obsédait les esprits. L’angoisse face à la peste était telle qu’il est possible que François Ier, seigneur de La Sarra, ait voulu doter son bourg d’un lieu de culte en l’honneur d’un saint qui pouvait le protéger du fléau, lui, sa famille et ses sujets. Dès lors il devint important que le centre de la seigneurie possédât une église plus proche du château et du bourg que ne l’était Orny. Le 16 juillet 1360, François Ier de La Sarra, sous l’autorité d’Aymon de Cossonay, évêque de Lausanne, et avec le consentement de Louis de Senarclens, abbé du Lac de Joux, fonda une chapelle dédiée à Saint Antoine, saint que l’on invoquait pour la guérison de nombreuses affections contagieuses.

      

Construction   après 1360, avant 1370

La chapelle n’a pas été construite par François Ier ; à sa mort en 1362, son fils Aymon III et son épouse Marguerite de Duin, dame de Vufflens, ainsi que sa fille Alexie, prennent tout de suite en charge la chapelle Saint-Antoine qui entre ainsi rapidement dans les préoccupations religieuses et financières de la famille. La chapelle fut construite près de la porte de l’hôpital, au Bourg de Jougne, signalé comme faubourg en 1362, c’est-à-dire à1’extérieur des murs de la ville et de l’enceinte du château, mais attenante à tous deux. On ignore la date exacte de la consécration de la chapelle qu’on situe avant ou en 1370, en se basant sur la biographie de l’évêque de Lausanne et de l’abbé du Lac de Joux mentionnés dans l’acte de fondation. A la mort d’Aymon III, décédé sans postérité vers 1369, sa veuve prend en charge les dettes liées à la construction de la chapelle. Marguerite de Vufflens se remariera avec le comte Louis de Neuchâtel, puis avec Jacques de Vergy, sire d’Autrey. Elle fera son testament au château de Champvent, le 24 août 1400.

Le Cénotaphe   après 1380, avant 1400

Cénotaphe signifie tombeau vide (du grec keno, vide, et taphos, tombeau). Les cénotaphes étaient élevés en l’honneur de personnages " morts depuis très longtemps ", et ne contenaient pas de corps. Ils répondaient aussi aux soucis de lignage que reflète tout monument familial en symbolisant la permanence de la lignée sans vouloir représenter quelqu’un de particulier. Ce monument funéraire est exceptionnel dans l’histoire du macabre de l’Occident médiéval témoignant de l’égalité de tous devant la mort et de la précarité de la vie face au sentiment de vanité des grandeurs humaines. Jusqu’à aujourd’hui, aucune datation précise n’a pu être apportée de façon décisive à l’édification du monument mais, en s’appuyant sur l’analyse plastique des deux chevaliers, on peut la situer avec certitude dans les vingt dernières années du XIVe siècle. L’érection du cénotaphe n’est pas directement liée à 1’histoire de la fondation de la chapelle, ni à celle de la sépulture familiale en ce lieu. Le commanditaire du monument n’est pas connu. Selon certaines suppositions actuelles, il semble qu’il ait été érigé par les petits-fils de François Ier, Nicod Ier et Aymon IV, qui auraient voulu représenter leur père et leur oncle, François II et Aymon III (chevaliers), encadrant leur grand-père, François Ier (gisant). Les deux autres statues sont probablement celles de leur mère et de leur tante, Marguerite d’Oron et Marguerite de Vufflens. Il y a un lien familial entre le cénotaphe de La Sarraz et celui de la collégiale de Neuchâtel, de même style et seuls de ce type en Suisse romande, à travers Marguerite de Vufflens, épouse d’un La Sarra, puis d’un Neuchâtel. Aymon III s’est occupé de la construction de la chapelle Saint-Antoine, tandis que le comte Louis de Neuchâtel est le personnage central du monument de la collégiale.

        

Sépulture familiale   de 1430 à 1819

Alors que l’abbaye de Romainmôtier, au XIIe siècle, et celle du Lac de Joux, au XIIIe siècle, abritèrent des défunts de la famille de Grandson, la branche des Grandson-La Sarra et des Montferrand-La Sarra eut deux lieux de sépulture : le Lac de Joux, de 1235 à 1427 et la chapelle Saint-Antoine à La Sarraz, de 1430 à 1505. Le premier membre de la famille à élire sépulture dans la chapelle des seigneurs de La Sarraz fut Bonne de Salins, veuve d'Aymon IV de Montferrand-La Sarra, dans son testament du 12 avril 1430. Le dernier membre de la famille sera Barthélémy, dernier sire de La Sarraz, le 27 septembre 1505. La dernière personne ensevelie dans le caveau de cette chapelle est Alexandre, décédé le 16 mars 1819, avant son père Charles Louis Gabriel de Gingins, baron de La Sarraz et coseigneur d'Eclépens.

Le Jaquemart   de 1536 à 1885

Après la conquête du Pays de Vaud par les Bernois et la Réformation qui la suivit, la chapelle fut désaffectée et partagée à mi-hauteur par un plancher. Le cénotaphe fut en partie muré, laissant apparaître les statues de deux chevaliers. La chapelle servit dès lors de dépôt d’armes, ce qui lui valut probablement le nom de Jaquemart. Elle fut également utilisée comme cave et grenier, tout en gardant sa fonction de nécropole familiale aux Gingins-La Sarra comme il l’a été dit plus haut. Le nom de Jaquemart pourrait également avoir une autre origine. Dans une description du monument funéraire, il a été écrit: " Par dessus l’armure, on voit une cotte d’armes ou jacque, plus courte que le haubert; ce vêtement, à demi-manches larges, est boutonné sur le devant et les épaules ". Jaque, ou jacque, substantif masculin qui a donné le diminutif jaquette, est le nom d’un vêtement court. Jaquemart pourrait dériver du mot flamand Jackman qui signifie homme porteur d’un jaque. Jaquemart a pris une autre signification, celle d’un homme armé d’un marteau qui frappe les heures dans une horloge. Mais à La Sarraz, la " Chapelle " du Jaquemart ne serait-elle pas un exemple du premier sens du mot, celui d’un homme en armes, porteur d’un jaque?

Première moitié du XIXe siècle   découverte du cénotaphe en 1835

Il faut attendre 1811 pour qu’il soit à nouveau question de la chapelle Saint-Antoine. En 1810, on apprend que la cave du Jaquemart a fait l’objet de nombreuses réparations, à une date qui n’est pas précisée. Lorsque les municipalités de La Sarraz, Pompaples et Ferreyres envisagent de reconstruire l’église paroissiale, contiguë à la chapelle, des réparations sont effectuées en 1835 afin de pouvoir y célébrer les services divins pendant les travaux. Le cénotaphe est alors redécouvert, transporté et réédifié dans la chapelle particulière du château à l initiative de Frédéric de Gingins-La Sarra et sous la direction du jeune architecte lausannois Louis Wenger. Après l’édification du nouveau temple, la chapelle subit un certain nombre d’interventions entre 1839 et 1844 : réparation de la toiture et peut-être reconstruction de la ramure, rehaussement des murs, réparation de l’intérieur afin de pouvoir l’utiliser à nouveau comme grenier.

Seconde moitié du XIXe siècle   restauration de Léo Châtelain de 1885 à 1888

Le principal objectif de la restauration de 1885-1888, exécutée par l’architecte neuchâtelois Léo Châtelain et dont l’initiative revient à Aymon de Gingins-La Sarra, était de redonner à la chapelle son aspect primitif en supprimant le niveau intermédiaire et en y replaçant le cénotaphe. Parmi les restaurations effectuées par Léo Châtelain, nombreuses au cours de sa carrière, celle de la chapelle se situe entre celle de la collégiale de Neuchâtel (1868- 1879), la première, et la transformation de l’église du prieuré de Romainmôtier (1912). La suppression du plancher intermédiaire, dont on a conservé quelques carreaux de pavement datés de 1581 et décorés d’armoiries, a nécessité quelques changements au niveau des percements. Les parties inférieures des fenêtres ont dû être refaites. Une nouvelle porte d’entrée plus monumentale et de style néo-gothique a été créée dans le mur nord, à la place de deux baies déjà existantes. Les deux arcades en arc brisé du mur sud, qui devaient être ouvertes à l’origine sur l’ancienne église de La Sarraz, ont été transformées en niches en plein cintre. Le cénotaphe sera restauré par le sculpteur Doret Delaharpe, de Vevey, avant d’être réédifié. Il était initialement placé sur le mur nord, mais sera réinstallé en face, sur le mur sud. L’aménagement intérieur comprendra la tribune, le lambrissage à mi-hauteur, la galerie exécutée avec des bois de 1581, les menuiseries de la porte d’entrée, l’armoire murale - à gauche de la baie à réseau du mur est – et les bancs. Les vitraux des fenêtres sont fournis par Lucien Bégule, de Lyon, en 1888. Afin de pouvoir aménager un escalier au nord de la chapelle reliant le parc du château au Bourg de Jougne, un jardin et un bâtiment (éventuellement l’ancienne chapelle Sainte-Catherine devenue étable et fenil) sont démolis.

Donation    le 7 mai 1897

Marie de Gingins-La Sarra, dernière représentante de la famille Gingins-La Sarra, vient de terminer la restauration de la chapelle, commencée par son frère Aymon, en y installant le chauffage et l’électricité. Elle désire alors faire don de cette chapelle à la commune de La Sarraz, ce qui sera fait le 7 mai 1897.

Sources

Michèle Grote .................................. Chapelle Saint-Antoine, soit du Jaquemart, à la Sarraz
Rapport Historique pour le compte de la ville de La Sarraz, décembre 1988
J . Ogiz ............................................................................................. Histoire de La Sarraz
Imprimerie E. Jacquemard, Cossonay 1899, réédition, La Sarraz 1996
Jean-Luc Rouiller................................................. Les sépultures des seigneurs de La Sarraz
Cahiers Lausannois d’histoire médiévale n 12, Lausanne 1994
François Forel-Baenziger ................................................................ Le Château de Vufflens
Bibliothèque Historique Vaudoise no 110, Lausanne 1996
Emile C. Bonard ........................................... La Chapelle Saint-Antoine (dite du Jaquemart)
Bulletin de la Société des amis du Château de La Sarraz, 1994

 

2. Travaux de conservation et de restauration 1987 - 1997

Etudes    de 1987 à 1991

Un siècle a passé. Pendant ce temps, l’humidité du sol a envahi les murs de la chapelle, provoquant un grave décollement des crépis extérieurs malheureusement réalisés en ciment, ainsi qu’une dégradation importante des crépis peints à 1’intérieur du bâtiment. Des infiltrations en toiture ont également provoqué de sérieux dégâts sur la partie supérieure de certains murs intérieurs. D’autre part, la démolition du bâtiment contigu à la chapelle, qui devait faire office de butée, a provoqué la fissuration d’une partie des voûtains du plafond ainsi que des murs est et nord. Dans les années quatre-vingt, l’état de vétusté est tel que la chapelle n’est plus utilisée. La municipalité prend alors la décision de revoir les choses, d’autant plus que le château fait l’objet d’études et de travaux importants de restauration. Une première séance de coordination a lieu le 1er septembre 1987 entre la municipalité, la section des monuments historiques du canton de Vaud et le bureau d’architecture. Il s’ensuit la constitution d’un groupe d’étude pluridisciplinaire qui par ses analyses donne une connaissance aussi complète que possible du monument. De la synthèse des différents rapports se dégage un parti de conservation et de restauration de la chapelle, dont les éléments les plus importants sont de conserver l’aspect et les décors de la dernière restauration en y apportant toutefois un revêtement de sol significatif en remplacement du sol en ciment existant et l’installation du chauffage central en liaison avec l’infrastructure de l’église. Après présentation d’un devis général et d’un descriptif des travaux, la commune décide de répartir le budget en deux étapes distinctes, l’une pour les travaux extérieurs et l’autre pour les travaux intérieurs.

Coût de l’opération: Fr. 83’700.-

Travaux extérieurs   de mai à décembre 1995

Les travaux extérieurs ont été les suivants : dépose des escaliers depuis le parking du château jusqu’à l’entrée de la chapelle, dégagement des pieds de façades jusqu’aux fondations, enlèvement complet des crépis de façade jusqu’au mortier de pose de la maçonnerie des murs avec toutefois conservation de témoins du crépis du XIXe siècle, analyse archéologique des murs, réparation ponctuelle de la charpente, changement complet du lattage et des tuiles, enlèvement du poteau électrique en toiture, traitement du bois des avant-toits, changement complet de la ferblanterie, installation d’une protection contre la foudre, démolition et reconstruction à neuf de la dalle sur chaufferie avec isolation thermique, étanchéité et pose de deux coupoles, réparation et travaux de conservation des encadrements de porte et fenêtre en pierre naturelle, réparation et renforcement de la maçonnerie au droit des fissures à l’aide de broches en acier, exécution d’un nouveau crépi à la chaux tiré à la truelle sur les façades avec badigeons à la chaux, pose d’une chemise de drainage des fondations aux pieds de façade, passage dans les fouilles du gaz et de l’électricité, repose des escaliers, nettoyage général.

Coût de l’opération: Fr. 361’400.-

Travaux intérieurs

d’août l996 à juin 1997

Les travaux intérieurs ont été les suivants : dépose de la chape en ciment sous contrôle de l’archéologue, analyse archéologique partielle du fond, enlèvement par le service cantonal d’archéologie d’une tombe constituée d’un cercueil en chaux et d’un squelette, abaissement partiel du rocher dans la travée ouest, pose d’une nouvelle canalisation pour les eaux usées, pose d’une nappe filtrante et drainante, pose d’une chape de propreté, pose d’une isolation thermique, pose de caniveau pour les radiateurs, pose d’une chape en ciment pour recevoir le nouveau dallage, dépose des boiseries et démolition des socles en mortier, dépose des vitraux, relevé précis des décors muraux du XIXe siècle, enlèvement des crépis avec conservation ponctuelle de témoins de crépis du XIXe siècle, conservation maximum du crépi des voûtes qui est probablement celui d’origine, analyse archéologique des murs et des voûtes, réparation et renforcement de la maçonnerie au droit des fissures à l’aide de broches en acier, réfection de la moitié d’un voûtain de la voûte est, exécution d’un nouveau crépi à la chaux lissé à la truelle sur les murs avec badigeons à la chaux, repose des vitraux, traitement antirouille des grillages de protection des vitraux, restitution fidèle des décors peints du XIXe siècle, conservation d’un témoin de décor peint probablement d’origine, pose du dallage en pierre naturelle provenant de France (Chassagne rosé, Bourgogne, et Hauteville-Lompnès, Savoie), et de Suisse (Molière jaune, Broye), création d’un local WC dans la chaufferie, repose des boiseries après travaux de réparation et de conservation en atelier, pose des radiateurs et des grilles de caniveau, installation d’un triple réseau électrique en plinthe, pose de nouvelles plinthes en chêne contenant les prises électriques, cirage des boiseries, choix et pose d’un nouvel éclairage, nettoyage général.

Coût de l’opération: Fr. 532’900.-

Inauguration après travaux   6 septembre 1997

        

copyright Groupe Y, Yverdon-les-Bains, mars 1999 - JCM / NM
 

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